« Devenir une belle jeune fille » ou « Être fier de ses muscles ». Tensions liées au genre dans les cours d’éducation sexuelle spécialisée.

1 juin 2022 par

L’éducation sexuelle est dispensée en Suisse dans les écoles depuis environ 50 ans. Elle a aussi sa place dans la plupart des écoles et des institutions spécialisées de Suisse romande. La nécessité de dispenser ces cours dans le cadre scolaire et son efficacité figurent désormais dans les conclusions d’un rapport du Conseil fédéral, accepté en 2018. Toutefois, sait-on vraiment comment dispenser ces cours ? Cette étude porte sur les contenus, et plus précisément les normes de genre, qui sont transmis dans les cours d’éducation sexuelle dispensés à des élèves scolarisé·e·s dans des milieux spécialisés. L’objectif principal de cette recherche est de mettre à jour les processus de construction du genre dans ces cours et de saisir comment les biais de sexisme et de capacitisme, à savoir les attitudes discriminantes faites aux personnes dites non-valides, impactent le discours des spécialistes en santé sexuelle qui dispensent ces cours. Pour atteindre ces objectifs, 105 leçons d’éducation sexuelle ont été observées et filmées durant deux ans dans des écoles spécialisées de Suisse romande. Ces observations ont été complétées par des entretiens d’explicitations et des entretiens semi-structurés avec les spécialistes en santé sexuelle qui dispensent ces cours. Si un volet quantitatif a été utilisé pour comparer les contenus entre les cours donnés aux garçons et ceux donnés aux filles, les données ont principalement été approfondies grâce à une méthodologie qualitative : l’analyse inductive générale (Thomas, 2006). Les résultats montrent d’abord que les garçons reçoivent plus d’informations quant au plaisir sexuel, tandis que les filles sont plus informées sur les risques. Par soucis de ne pas gêner leur compréhension, les spécialistes ont recours à des stéréotypes de genre pour simplifier les contenus. Le handicap agit alors comme un renforçateur des normes : l’approche hétéronormative est très présente dans les milieux spécialisés et masque la diversité sexuelle. Le contrôle sur les comportements des élèves est marqué, il est surtout exercé sur les filles : il règle la distance à mettre avec les hommes quand elles deviennent pubères, mais aussi leur façon de s’habiller. Ainsi, les spécialistes en santé sexuelle ne soutiennent pas seulement la construction d’une féminité, mais contribuent à construire une « bonne » féminité. Ces tendances illustrent la complexité du travail des professionnelles et la difficulté pour l’éducation sexuelle spécialisée à s’extraire des normes de genre.

EN SAVOIR PLUS / https://doc.rero.ch/record/329812/files/TorrentS.pdf